Ma psychanalyse

Je vais vous raconter ma psychanalyse.

– Euh, attends, pourquoi ?

Je ne sais pas. Il y a plusieurs motivations qui me viennent à l’esprit.

D’abord, je n’ai pas souvent rencontré des gens qui en avaient fait une. Même les bourgeois. Et même, de toutes les victimes du même genre que moi que j’ai pu rencontrer, peu s’étaient fait soigner, peu d’entre eux et elles étaient allés se vider le cerveau et le cœur sur un divan ou un lit de psychanalyste. Je contribue donc à fournir de la doc gratuite sur l’expérience psychanalytique côté « analysant », et à recommander cette forme de thérapie à ceux et celles qui pourraient en avoir besoin.

Ensuite, parce que je suis passionné de psychanalyse depuis que je l’ai découverte en lisant Freud à 17 ans. J’ai depuis lu beaucoup d’autres auteurs – Mélanie Klein, Karl Abraham, Carl-Gustav Jung (je l’aime pas lui !), Winnicott, Robert Stoller (lui j’adore ses livres et ses idées !! très progressiste avant l’heure notamment sur le porno et sur l’homosexualité et sur la perversion), Françoise Dolto (elle aussi j’adore : par exemple, parler de la mort à un bébé triste pour l’aider à accepter !!! incroyable mais d’après elle, ça a marché !!), et des synthèses, des « Histoire de… », des collections d’articles, des études spécifiques (j’ai lu les 10 tomes d’une collection psychanalytique encyclopédique). J’ai aussi lu des critiques de la psychanalyse, l’Anti-Oedipe de Deleuze et Guattari bien sûr, et d’autres choses encore (critiques de type épistémologique). Je suis convaincu que même si elle n’est pas vraiment une science et même si elle est contestable sur bien des points, il y a du génie interprétatif dans la psychanalyse, et une grande puissance quant à comprendre aussi bien les gens, les individus, les comportements, que les cultures ou la condition humaine.

En passant, je suis carrément fan de la série américaine HBO « In Treatment« , super géniale. Je pleure en moyenne deux fois par épisode et bien entendu, je suis amoureux de Laura, en m’identifiant au psy.

J’ai peut-être des motivations inconscientes mais ça ne m’intéresse pas de creuser le sujet dans cet article.

J’ai fait une psychanalyse à raison de 2 séances par semaine, de l’automne 2006 à mai 2008. ça m’a chamboulé et ravagé et reconstruit à la fois. La partie ravage n’est pas la faute de la psychanalyse, j’avais trop de choses à dire.

Alors que je n’avais pas l’intention d’y aller et que je ne me croyais pas spécialement malade, j’y ai été poussé ou disons fortement incité par M., avec qui j’étais en couple, on se chamaillait trop souvent et ça tournait à la violence verbale. On s’aimait et se battait à la fois. Elle avait fait une psychanalyse pendant 12 ans… elle avait un passé très tragique. Je ne savais pas à quel point je lui ressemblait. Au début de notre relation, voyant qu’elle était préoccupée par ses souvenirs et sujette à l’oubli, je l’ai aidée à se rappeler et à mener une enquête, une sorte de reconstitution chronologique à propos de son père qui l’avait violée quand elle avait 4 ans, puis 8 ans, puis ensuite… Mais j’avais trop de sales choses enfouies en moi inconsciemment pour vraiment pouvoir bien l’assister dans sa démarche, c’est en partie pour ça qu’elle me recommanda d’aller m’asseoir devant un psy et parler. J’ai accepté l’idée, même si ça me faisait assez peur, et aussi, j’étais dans le déni de mes névroses.

Sur son conseil, j’ai appelé un psy recommandé par quelqu’un qu’elle connaissait, et pris rendez-vous. Cela s’est mal passé, cette première séance. J’étais pauvre et j’ai demandé si je devais payer de ma poche – à 40€ la séance, si j’en faisais une par semaine, ça faisait 160€ par mois. C’était un tiers de mon RMI, c’était hors-de-question. J’ai expliqué la situation mais le gars n’a rien voulu savoir : je devais payer, question de principe disait-il, « un investissement sur vous-mêmes », j’ai conclu : blabla capitaliste, j’ai pas envie de te causer connard, bye-bye. J’en ai appelé un autre. J’ai expliqué la situation, il m’a donné un rendez-vous. Il m’a fait parler de pourquoi je venais, j’ai parlé de mes angoisses, et de ma violence, du milieu dont je venais (j’étais très amnésique, mais les rares éléments que j’avais gardés en mémoire promettaient qu’on allait trouver des choses en fouillant). Il a vu qu’il y avait matière.  Il avait le double titre de psychiatre et psychanalyste, ce qui lui permettait de me faire des feuilles de soin, remboursées donc, prises en charge par la Couverture Maladie Universelle, une des choses que je trouve très belles et très justes en France et qu’on doit préserver et faire fonctionner correctement. Au contraire du précédent psy que je considère comme un connard dogmatique sans aucune fibre sociale et sans compassion pour les pauvres, celui-ci ne m’a pas opposé un refus de soin. Le fait de commencer une psychanalyse aux frais de l’Etat me plaisait car déjà et toujours aujourd’hui, je considérais l’Etat et ses institutions défaillantes police et justice comme co-responsables de mes troubles : en effet, dans ce que j’avais vécu et subi, qui était d’ordre criminel, les agents de l’Etat n’avaient aucunement réagi. Le médecin de famille – qui est bien lui aussi un agent de l’Etat puisqu’il est en partie payé par lui et soumis aux règles du Ministère de la Santé – était au courant de plein de choses – notamment du fait que ma mère était gravement alcoolique et qu’elle était régulièrement battue, et trahissant son devoir de citoyen (non-assistance à personne en danger, car mon beau-père frappeur était vraiment très violent et aurait pu tuer ma mère) et son devoir de médecin (obligation déontologique d’aider les blessés même à titre gratuit, et ma mère portait sur son visage et son corps des traces évidentes de coups) il n’a rien fait et rien dit (il s’appelait monsieur Lorrain et malheureusement, il est mort d’un cancer dans la cinquantaine avant que j’aie eu le temps de lui faire un procès). Il aurait pu faire cesser les violences simplement en faisant intervenir l’assistance sociale et un alcoologue ou un psy – pour ma mère -, la police – contre mon beau-père – et la protection judiciaire de la jeunesse – pour les 3 enfants/mineurs que nous étions ; mais il n’a vraiment pas bougé le petit doigt, l’enfoiré. Je considérai aussi qu’étant victime – je ne savais pas alors précisément de quoi, j’en avais oublié les 3/4, mais au fond de moi je savais qu’il y avait eu trop de choses pas normales – ce n’était pas à moi de payer de ma poche pour tous les crimes d’autrui commis sur mon entourage et sur moi. Mon psy ne s’est pas opposé à cette idée que j’ai exprimée clairement d’entrée de jeu, j’en faisais une condition du processus thérapeutique et il a accepté généreusement cette particularité de ma demande.

La psychanalyse a donc commencé. On a d’abord fait une « psychothérapie » et pas une « psychanalyse ». Techniquement, la différence consiste en deux choses : 1/ dans une psychothérapie, on est assis en face à face avec le psy et on dialogue, plus ou moins, même si le psy a toujours tendance à se taire pour mieux écouter. Tandis que dans la psychanalyse, on est allongé, on ne voit plus le psy, et il ne parle quasiment plus. Parfois, il pose une question, souligne une expression en la répétant pour me la faire mieux entendre ou m’aider à l’analyser, la commenter, associer. Je lui ai dit dès le début que j’avais beaucoup lu en psychanalyse. Il m’a dit que ce n’était pas forcément un avantage de trop en savoir pour en faire une et il m’a déconseillé de me mettre à relire de la théorie, sans me l’interdire évidemment. J’ai demandé quelles étaient ses orientations théoriques et pratique et quelle était la règle du jeu. Il m’a dit que ça importait peu, comme j’insistais il s’est décrit comme plutôt freudien de théorie avec des influences lacaniennes dans la pratique et il a répété que ce n’était pas le sujet. Il a dit que la seule règle du jeu, c’était pour moi de parler de tout ce que je voulais sans me censurer et de suivre les associations comme bon me semblerait.

Dès la première ou deuxième séance, comme je commençais à faire un tour d’horizon de ma jeunesse et de ma vie adulte, il a défini un rythme de deux séances par semaine en commentant sobrement : « bon… il y a beaucoup de choses. » Je venais en effet d’évoquer : inceste, viols, violence conjugale, alcoolisme, criminalité de mon père, mensonge familial, abandons de famille, misère, agressions physiques, et quelques autres joyeusetés. Cela m’étonnait moi-même : une fois assis là devant lui, je prenais conscience du nombre et de l’intensité des choses graves auxquelles j’avais été confronté enfant et adolescent. Tous les fils étaient emmêlés, intriqués, et d’office il apparait clair qu’un des buts du jeu allait être de remettre de l’ordre dans tout ça et de donner son vrai nom à chaque chose : toi, tu n’es pas de l’amour mais du crime ; toi, tu n’es pas de la parentalité mais de l’abandon ; toi, tu n’es pas du plaisir sexuel mais de l’abus. Etc. Il fallait tirer au clair tout un tas d’embrouilles.

Au bout de quelques séances, je ne sais plus combien, 5, 10, j’avais pris le pli. Comme d’habitude quand je me lance dans un apprentissage qui me tient à cœur, j’étais un bon élève et j’avançais sans faiblir à un rythme soutenu. C’était dur d’évoquer et de faire ressortir toute la merde du passé mais en même temps ça soulageait. Une fois dites, les choses pouvaient être mieux comprises, donc mieux gérées. Je sortais de mon inconscient les horreurs qui y étaient enfouies, je les déterrais, je leur donnais leur nom. Lui m’écoutait, toujours très silencieux, très pro. Plusieurs choses me dérangeaient, me posaient problème dans la pratique. J’appréhendais le moment du paiement, je le payais par chèque ou en liquide et il me faisait une feuille de soin. J’accumulais plusieurs feuilles de soin avant de les renvoyer à la CPAM pour remboursement. J’ai compris en cours de route pourquoi j’avais peur de payer : l’élément principal dans mon rapport tordu à l’argent, c’était que mon beau-père pervers avait voulu acheter ma nudité quand j’avais 14, 15 ans. Il m’avait proposé 500 francs pour me voir nu, et cette proposition, ce porc l’avait faite lors d’un repas d’apparence tout à fait normale, devant ma mère qui n’avait pas bronché (la garce…) et devant ma petite sœur. C’était comme un jeu, pour lui. Moi, ça m’a profondément troublé. Une fois que j’ai eu compris ça, j’ai au contraire été plutôt fier de payer. Sur la fin, j’ai même annoncé au psy que l’État avait assez payé. En effet je venais de gagner une bourse, la bourse de création du Centre National du Livre à hauteur de 13 000€, la première fois que je gagnais autant d’argent, donc je n’avais plus besoin d’être dans la dépendance vis-à-vis de l’État, même si c’est l’État (Ministère de la Culture) qui me donnait la bourse (qui récompensait 10 ans de travail, il faut relativiser, rapporté par année ça fait seulement 1300€ par an pour un travail acharné). L’autre chose qui me faisait peur était son regard, ça ne venait pas de lui, c’était évidemment moi qui projetait une angoisse d’être jugé. Je me sentais terriblement sale, sali par trop d’atrocités. Séance après séance, j’ai développé une confiance, j’ai bien vu que cet homme pouvait tout écouter et tout entendre. J’ai apprécié et admiré son professionnalisme, je me suis plaint de divers médecins crapuleux et indignes, lui a été exemplaire, je n’ai jamais rien eu à lui reprocher. Alors que j’aurais eu bien des raisons de faire ce qu’on appelle une projection sur lui des figures masculines hyper-négatives que j’avais connues, j’ai laissé cet homme à sa place, sans en faire ni mon père ni mon ennemi ni mon sauveur. Je ne l’ai tout simplement pas fantasmé, il est resté mon psy, le gars que je payais pour m’écouter et qui faisait le boulot correctement.

Les séances duraient entre 30 et 45 minutes, parfois une heure quand j’étais dans des états fébriles ou anxieux ou que la séance était très productive, très riche en évocations. Je le voyais chaque mardi et chaque vendredi à 16h30, ça n’a jamais bougé, ça m’allait comme ça, c’était stabilisant. Je n’ai pas raté une seule séance en deux ans. Je suis arrivé en retard quelques fois et il m’a demandé d’arriver à l’heure, j’ai corrigé le tir. Il a pris des vacances de temps en temps, raisonnablement.

Il y a eu des moments très dramatiques. Une fois que j’ai eu redécouvert les trois tentatives d’abus sexuel dont j’ai fait l’objet par trois cinglés différents, je me suis fortement demandé comment ma mère avait pu laisser faire ça sur son jeune fils – car l’une des trois tentatives s’est passée sous ses yeux sans qu’elle s’y oppose aucunement et quand un pervers m’a attaqué par surprise quand j’avais 11 ans, m’a emmené dans une cave d’immeuble sous prétexte d’y faire un jeu qui consistait en fait à essayer de m’enculer (je me suis sauvé avant qu’il arrive à ses fins, il a juste pu se coucher sur moi, essayé de me déshabiller, mais je me suis débattu et j’ai fui en courant), j’en ai parlé à ma mère immédiatement et là encore elle n’a strictement rien fait. J’ai trouvé cela hautement douteux et j’ai conclu qu’elle aussi avait dû être violée sans quoi elle n’aurait pas pu être aussi aveugle à ma souffrance. Du coup, et avec le soutien tacite du psy, j’ai renoué le contact avec elle à qui je n’avais pas parlé depuis des années. Et j’ai entrepris de la faire parler, en la pressant de questions. « Je fais une psychanalyse, qui m’apprends beaucoup, qui me fais me poser des questions sur toi : raconte-moi ton enfance, s’il te plait ». Conversation téléphonique après conversation, j’ai découvert qu’elle avait été violée par trois hommes différents à trois époques différentes, et que l’un de ces hommes n’était autre que mon père – cet élément-là que je n’avais jamais su m’a mis dans une colère noire contre lui et tous les gens comme lui (Michel Bablon : il a abandonné notre famille en 1982 (il en avait déjà abandonné une autre 12 ans plus tôt, il a laissé tomber 5 enfants en tout, j’ai retrouvé les 2 autres d’avant nous trois, la fille est devenue infirmière…) quand j’avais 4 ans et demi, on n’a plus jamais eu de ses nouvelles – le criminel est lâche, cela m’a motivé à trouver du courage, à faire vœu de courage, à prendre son contre-pied en tout, par exemple : il attaquait les faibles, moi je passe du temps à prendre leur défense contre leurs agresseurs).

Un autre moment dramatique a été entre noël et le jour de l’an 2007, quand je me suis soudain souvenu d’un souvenir très lointain : j’avais 3 ans et mon père m’a violemment battu pour avoir cassé le jouet qu’il venait d’offrir à mon grand-frère – or en fait c’est mon frère qui avait cassé son jouet. De toute façon rien ne justifie qu’on frappe un enfant ou quiconque, surtout un bambin de 3 ans, franchement, il faut être sacrément cinglé quand on est une montagne comme lui, 80-90 kilos, pour s’en prendre à un être sans défense qui pèse 10 kilos maxi et n’a aucun moyen de répliquer. Pur sadisme. J’ai souvent imaginé le retrouver et lui coller une trempe, ou encore l’assassiner. J’ai échoué à retrouver cette ordure. Je continue et continuerai à haïr la violence masculine, et les hommes en général, à me battre contre eux moralement et à les dénoncer. Je ne suis pas bagarreur physiquement. Je me suis battu comme tous les gamins mais jamais adulte,  pas une seule fois depuis mon adolescence. Je suis très violent verbalement et symboliquement et dans mes émotions et mes sentiments mais pas physiquement, je méprise absolument l’usage de la force, qui me semble être une preuve de grande faiblesse psychologique au contraire ! Je ne frappe pas les gens même quand je les hais. J’en ai eu l’envie ou l’idée parfois mais je n’ai jamais perdu le contrôle. J’ai pu hurler contre des gens que je considérais comme des connards, ça ne me gêne pas tellement, je peux vivre avec cette violence orale. Je peux faire mal aux esprits, j’en ai déjà bousillé quelques uns, j’aime faire leur fête aux traîtres notamment, mais je ne touche pas aux corps. Je reste convaincu de la justice de mon esprit vengeur. Puisque trop souvent personne ne fait rien quand il y a délit grave ou crime, je joue au punisseur en disant leurs 4 vérités à ceux qui frappent, trichent, violent, volent, mentent, etc. C’est un besoin, une pulsion. On en a vu des pires, je crois.

A ce moment précis que je viens d’évoquer, 3 jours que j’ai passés à pleurer entre noël et le jour de l’an 2007, j’étais tellement fébrile et anxieux que je tremblais et n’arrivais plus à dormir. Or mon psy avait pris 2 semaines de vacances, ça tombait mal. Je suis donc allé voir en urgence un psychiatre à deux rues de chez moi en vue de lui demander une solution temporaire. J’ai été lui soutenir, à ce psychiatre qui n’était que ça, que j’étais bipolaire… et au bout d’une seule séance, le voilà qui me prescrit du lithium, un « médicament » qui a de forts, très forts effets secondaires. La séance d’après avec mon psychanalyste, je l’ai mis au courant et ça a été la seule fois qu’il a pris la parole en son nom et qu’il s’est énervé. Il a dit que cette prescription était totalement hors-de-propos et chimiquement dangereuses pour moi. Il m’a dit que le lithium allait me mettre comme sous camisole chimique et paralyser ma créativité  laquelle je tenais tant et qui était mon moyen numéro 1 de résilience. J’ai vraiment bien aimé cette réaction 🙂 Je n’avais pris qu’un seul cachet de lithium. J’ai jeté les trois boîtes à la poubelle et je n’ai plus pensé que j’étais bipolaire car en fait, ce n’était pas le cas. Je raconte ceci pour bien montrer que la psychiatre Danielle Canarelli qui vient d’être condamnée à un an de prison avec sursis pour défaut de suivi thérapeutique d’un patient qui s’est trouvé ensuite dangereux, n’est pas la seule irresponsable à exercer. Le ou les psychiatres qui ont « soigné » sans AUCUN succès positif mon ami Arnaud Pelletier mort à 28 ans après au moins 5 ans d’internement forcé à l’hôpital psychiatrique de Chaumont, je les considère co-responsables de sa mort et de la tragédie qu’a été sa vie. Quand on ne sait ni diagnostiquer ni soigner, chers psys, on devient boulanger ou routier, en tout cas on s’abstient de faire le mal en croyant faire le bien.

J’ai mis fin à ma psychanalyse fin mai 2008 alors que je venais d’obtenir une bourse de résidence de 3 mois à Berlin, d’un montant de 5000€, pour écrire K.I.N.S.K.I. J’avais fini de faire le tour du passé et de remettre les choses à leur place. Je n’étais pas « guéri » mais certaines choses resteront à jamais irréparables et certaines fonctions sont carrément cassées en moi et je n’ai aucun espoir de les revoir marcher. Mes liens affectifs notamment n’ont jamais pu s’établir correctement devant tant de trahison. Je reste quelqu’un de conflictuel, souvent déprimé ou suicidaire. J’ai d’ailleurs fait une TS (tentative de suicide) en 2009 dans un moment de désespoir profond où j’ai pensé que je ne pourrais jamais me reconstruire après ce que j’appelle les « 10 crimes » : 2 abandons de famille, une forme légère d’inceste, 3 tentatives de viol sur moi, 3 viols sur ma mère, et la vie quotidienne de mes 8 ans à mes 18 ans avec une personne gravement alcoolique et battue. Sur certaines photos, j’ai les ongles peints en noir : c’est l’image et la mémoire des 10 crimes. Ne pas, ne jamais plus les oublier. Il ne faut pas oublier tout ce qu’il y a de beau dans la vie, l’amour, la nature et l’art en priorité je dirais. Mais le mal et le vice sont là, partout autour de nous, en nous. Je dois faire avec.

Le psy m’a proposé de me trouver un thérapeute à Berlin, il semble avoir le bras long (il a trouvé un alcoologue à ma mère à Chaumont, ville où il n’y a presque rien !), les psychanalystes s’organisent (à un moment j’ai failli gagner ma place à la Villa Médicis, foutrement prestigieuse, et en même temps ça m’inquiétait, j’étais au milieu du chemin, je ne voulais pas arrêter ; mon psy m’a rassuré en me disant qu’il me trouverait sans problème un autre thérapeute à Rome si j’y allais. Finalement, ça a été Berlin. Je voulais quitter la France, Sarkozy venait de gagner, je ne supportais pas d’être citoyen sous un tel Président fasciste. Mon psy ne semblait pas beaucoup l’apprécier non plus : une fois j’ai rapporté en séance le délire sarkozyste comme quoi la pédophilie serait d’origine génétique, et mon psy a ri de la truculence avec laquelle j’exposais mon opposition à cette absurde et sotte idée.) J’ai refusé de continuer à me psychanalyser. J’avais assez parlé et j’avais maintenant envie d’agir.

A Berlin, j’ai fait tout ce que je n’avais pas osé faire avant. La psychanalyse m’a énormément fait progresser et m’a permis d’affirmer avec force mon identité et mes choix. J’ai choisi de faire tout un tas de choses à la fois pas légales mais pas fondamentalement répréhensibles et surtout pas dangereuses – bon, j’ai joué un peu avec le feu en défiant les autorités allemandes mais tout s’est bien passé au final, j’ai juste été arrêté deux fois pour que dalle (ça n’a donné lieu à aucune condamnation, je n’avais rien fait de mal) et reçu la police 11 fois dans le lieu culturel que j’animais, je les recevais un joint à la main en me foutant totalement de leur possible répression – je n’ai aucune raison d’obéir à des hommes ni à des autorités, surtout allemandes 😉 Je suis devenu vraiment adulte, mon propre maître, responsable de moi-même, alors qu’avant j’avais des côtés franchement immatures et j’étais entre autres affectivement dépendant de mes copines – après ma psychanalyse, j’ai pu, au choix, incarner un amant effréné ou un célibataire content de l’être. Il reste quelques séquelles, mais plein de choses ont changé. Alors que j’avais été anorexique, je suis devenu un assez bon cuisinier et je mange correctement.  Ma conso de cannabis est sous contrôle, elle ne prend pas le dessus sur moi comme avant. J’ai encore des moments de noirceur et de désespoir, mais qui passent plus vite et qui sont moins intenses qu’avant. J’ai plus ou moins « arrêté d’écrire », même si quand je dis ça, je viens quand même d’écrire plus de mille pages cette année… des analyses narratologiques surtout, et puis pas mal d’articles nouveaux sur ce site. J’ai fait pas mal de musique (un autre mode d’expression totalement nouveau pour moi et qui a contribué à libérer certains sentiments), organisé des tonnes de fêtes, rencontré des centaines d’artistes, fait l’amour avec pas mal de monde, mis en œuvre mes idées libertaires avec succès, investi, géré et regagné cet argent auquel auparavant je ne voulais pas toucher en raison de ce que j’ai raconté plus haut. Il faudra que je finisse K.I.N.S.K.I. à un moment, que j’ai cessé d’écrire parce qu’évidemment lié à mon père – un grand blond colérique et imprévisible.

Il y a un truc qui me reste en tête depuis la fin de ma psychanalyse, une chose qu’on avait dit qu’on ferait avec mon psy, et qu’on n’a pas faite, puisque j’ai quitté la ville. Vers le début du processus, comme j’avais quand même du mal à me confier à un pur inconnu, même médecin, j’ai demandé à savoir qui il était lui. En effet je trouvais injuste d’avoir à m’exposer moi dans tous mes plus sombres détails, tout en ne sachant jamais rien de lui. Bon, j’avais son apparence, sa ville, un indication sur son orientation politique (c’est moi qui ai insisté pour le savoir, il n’a jamais fait de prosélytisme hors-de-propos !) et les petites traces d’émotion, réprobation, approbation et autres, qu’il ne pouvait pas ne pas laisser passer car même muet comme une carpe, on communique, et j’ai l’ouïe fine. J’ai donc voulu qu’il me dise un peu qui il était et il m’a répondu que ce n’était pas le sujet (oui, le sujet locuteur c’était moi, mais si moi j’avais envie et besoin de dialogue, on faisait comment ?) J’ai alors suggéré un compromis. Je savais bien pourquoi il refusait de se personnaliser face à moi, c’était pour respecter le point théorique et pratique comme quoi le psychanalyste n’existe qu’en tant qu’écoute et que miroir. Très bien, je ne conteste pas ce point. Mais j’ai proposé que, « quand j’aurai terminé ma thérapie » (« psychanalyse terminée, psychanalyse interminable… »), je l’inviterais à prendre un café ensemble à titre privé et là il me dirait comment il était devenu psychanalyste et par quoi il était passé. J’avais ma petite idée derrière la tête : devenir psychanalyste après l’âge de 40 ans, j’en avais 29 à l’époque. Et ce petit café ensemble qui m’aurait permis d’avoir un avis personnel sur la manière dont on devient psy, on ne l’a pas pris. Or je n’ai pas oublié mon idée. Je pense que je serai psychanalyste un jour, et je pense que je ne serai jamais par contre un psychanalyste officiel et affilié, mais freelance et freestyle. Il y a tout un tas de points théoriques et pratiques un brin dogmatiques que je ne compte pas respecter docilement. Un de mes grands reproches à cette thérapie est quelle reste passive, elle n’offre ni conseil ni assistance pratique et technique. Je pense donc que, thérapeute, 1/ j’utiliserai la psychanalyse ET plein d’autres approches (cognitivo-comportementaliste, Greenberg, humour, jeux de rôle, art-thérapie…), et 2/ je déciderai d’un commun accord avec les gens qui viendront me voir au sujet des conditions du travail thérapeutique, notamment au sujet du lieu où ça se déroule, du temps qu’on y consacre, des rythmes, etc. La psychanalyse fournit un service très standardisé, cela ressemble trop à de l’industrie capitaliste où un seul moule fabrique des millions de produits. Moi, je pense que chaque personne étant différente, elle a des besoins et des aptitudes différentes, on doit donc adapter les conditions. Si je venais dire à une association de psys que je ne compte pas respecter les règles de réception en cabinet, de durée, de contenu, et de prix (en effet je ferais des tarifs variables en fonction des revenus des gens et de leur rapport à l’argent : il est évident que les riches paieraient plus que les pauvres, en raison de leur propre sentiment de la valeur de l’argent !), ils me vireraient illico. J’emmerde tous les dogmes et je fais confiance en priorité à mes intuitions. Une fois psy freestyle (il est tout à fait légal de proposer des services d’aide psychologique, il suffit de ne pas se faire passer pour médecin : je ne m’appellerai donc jamais officiellement psychanalyste ou docteur ou thérapeute : la belle affaire ! je suis Ludovic, sujet humain, ex-victime résiliente, artiste expérimenté, moraliste, et tout ça me semble suffisamment pertinent et qualifiant en soi !!! pas besoin d’aller se faire enculer symboliquement par un Papa Psychanalyste, allons 🙂 ), je me concentrerai en priorité sur trois populations en souffrance : 1/ Les ex-victimes de viol, 2/ les ex-enfants-battus, et 3/ les alcooliques, les toxicomanes et les autres formes de personnalités dépendantes. Je me sens carrément inapte à traiter toute forme vraiment lourde comme les psychotiques, les autistes, les déficients mentaux sur base organique, les enfants perturbés (je ne traiterai que des adultes) etc. Si ceux-là venaient me voir je dirais évidemment Non désolé, je ne peux rien faire, vous avez besoin de quelqu’un d’autre.

Voilà. Dans mon cas la psychanalyse a été très profitable. Ceux que j’ai connus qui en ont fait une (je pense à deux personnes seulement) n’ont pas non plus regretté leur démarche et leur état s’en est trouvé amélioré. Il y a des moments très éprouvants mais qui a dit que ce serait facile ? Combattre des choses épouvantables n’est certes pas facile. Si vous êtes susceptibles d’en avoir besoin, je vous la recommande. Si vous voulez essayer autre chose, j’ai fait un peu de Méthode Grinberg à Berlin et j’ai trouvé ça assez formidable aussi. Si jamais vous commencez une démarche et que le/la thérapeute vous déplaît, que quelque chose coince, n’hésitez pas à en changer. Il se peut que le problème vienne de vous, si aucun thérapeute ne vous convient, si vous en essayez 5 de suite sans succès. Mais je crois qu’il y en a de bons partout, il suffit de se renseigner et d’aller de l’avant. Voilà, j’ai fini, bonne chance si vous essayez et merci de m’avoir lu.

 

 

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